Résumé du sujet de recherche scientifique (version longue).
Sujet de recherche : Etude des leucémies myéloïdes aiguës pédiatriques réfractaires aux chimiothérapies conventionnelles et des sarcomes granulocytaires et autres formes de leucémies myéloïdes aiguës pédiatriques.
Dr. Med. Gabriel Levy and Prof. Stefan N. Constantinescu
Pôle SIGN, Institut de Duve, Université Catholique de Louvain
et Institut Ludwig de Recherche sur le Cancer de Bruxelles
En collaboration avec le Prof. Bénédicte Brichard et collègues du service d’onco-hématologie pédiatrique des Cliniques Universitaires Saint-Luc, Université Catholique de Louvain, Bruxelles
Les leucémies sont les tumeurs pédiatriques les plus fréquentes. Selon les chiffres de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) Europe, de 2009, elles représentent environ 30 % des cancers chez les enfants de moins de 15 ans dans les pays industrialisés. Dans les années 2000, leur incidence moyenne dans cette classe d’âge en Europe était de 46,7 cas par million et par an.
Les leucémies myéloïdes aiguës (LMA) représentent 17 à 25 % des leucémies aiguës de l’enfant. Leur incidence est de sept cas par million d’enfants âgés de moins de 15 ans, et elles paraissent les plus fréquentes chez les nourrissons de moins de un an, avec une incidence de 1,6 cas par 100000 et par an. Après la première année de vie, leur incidence diminue pour atteindre 0,4 par 100000 et par an à l’âge de 10 ans (1).
La dernière classification OMS des néoplasies myéloïdes et des leucémies aiguës, de 2016 (2, 3), s’applique aux enfants et aux adultes. Les leucémies myéloïdes aiguës (LMA) peuvent y être séparées en deux groupes principaux, les LMA de novo et les LMA secondaires.
Les LMA de novo se divisent elles-mêmes en quatre catégories principales : les LMA avec anomalies cytogénétiques récurrentes, les LMA avec anomalies associées aux myélodysplasies, les LMA sans autre spécification par ailleurs, qui suivent l’ancienne classification cytologique et cytochimique FAB (4), et les néoplasies myéloïdes avec des prédispositions congénitales. La fréquence des prédispositions pourrait être élevée dans les LMA pédiatriques avec des patients pédiatriques pouvant être la première génération à avoir une mutation germinale acquise. Cette classification reflète le fait que les LMA apparaissent désormais comme des pathologies complexes et dynamiques (2, 5).
Les LMA secondaires sont définies comme des LMA apparaissant après une exposition à des traitements cytotoxiques ou avant une insuffisance hématopoïétique telle qu’un syndrome myélodysplasique ou une aplasie médullaire. Les LMA secondaires ont des altérations caryotypiques et moléculaires propres et sont considérées comme de moins bon pronostic (6).
Les LMA sont supposées résulter d’au moins deux classes de mutations, qui additionnent leurs effets (7). Les mutations de type I sont des anomalies des tyrosine kinases qui induisent la prolifération cellulaire. Les mutations de type II, qui comprennent la plupart des translocations, induisent le blocage de la différenciation cellulaire.
La majorité des cas de LMA pédiatriques se classifie dans des catégories cytogénétiques distinctes, basées sur des événements chromosomiques spécifiques (8, 9). Vingt pourcents des LMA pédiatriques n’ont cependant pas d’anomalies cytogénétiques retrouvées. Des mutations de type I et II avec une forte influence pronostique sont fréquentes chez ces patients. En effet, plus de 90 % des LMA pédiatriques ont au moins une anomalie génétique telle que des altérations de FLT3, NPM1 et CEBPA, qui ont des implications cliniques connues et peuvent être détectées par les méthodes de routine actuelles. Des altérations de plus de 50 gènes, tels que KIT, RAS, TET2 ou IDH1, ont aussi été décrites dans les LMA de l’adulte ou de l’enfant mais n’ont pas à ce jour de rôle clairement défini dans la stratification pronostique.
Des niveaux aberrants d’expression de gènes tels que ERG, MN1, EVI1 ou WT1 ont aussi été décrits (9), de même que des altérations du nombre de copies géniques (10). Dans une cohorte de 460 patients issus de différents essais du Children Oncology Group (COG), il a ainsi été montré que ces altérations focales du nombre de copies géniques seraient associées à un moins bon pronostic chez les patients de risque standard (10).
Des voies de signalisation intracellulaire communes semblent émerger parmi l’hétérogénéité des mutations somatiques du génome des LMA pédiatriques et le faible nombre des gènes mutés de façon récurrente. Farrar et al. (11) ont identifié a partir de 78 mutations touchant des protéines, 11 voies de signalisation intracellulaire déjà connues. Chez 90 % des patients, les mutations touchaient des tyrosine kinases (TK) et la voie RAS/MAPK/MEK. Il s’agissait des voies de signalisation les plus souvent atteintes. Les mutations dans les facteurs de transcription et les modificateurs épigénétiques étaient aussi fréquentes et semblaient se superposer, tout comme les mutations des phosphatases, aux TK activées ou aux variants de RAS/MAPK.
Les mutations pouvaient apparaître à des endroits divers des voies de signalisation. Les LMA liées à la translocation t(8;21) ont par exemple été étudiées dans ce sens. La translocation est à l’origine de la protéine de fusion AML1-ETO, qui altère la fonction d’AML1, un facteur de transcription absolument nécessaire à la différenciation myéloïde. AML1-ETO colocalise avec le corépresseur N-CoR sur des régions génomiques en distalité du site d’initiation de la transcription du facteur de transcription clef de l’hématopoïèse RUNX1 (12), et ce par l’intermédiaire du microARN non-codant suppresseur de tumeur miR-29b-1 (13). Or, il a été prouvé que la présence de N-CoR est nécessaire pour l’engagement dans la lignée myéloïde des cellules hématopoïétiques primitives. Ainsi, des anomalies de la protéine N-CoR seraient liées au développement de LMA promyélocytaires et monocytaires, primaires ou secondaires (14).
Pour ajouter à la complexité des altérations génétiques dans les LMA (pédiatriques), il a été suggéré dans de nombreuses études que la prévalence d’une mutation, plutôt que sa simple présence, pourrait contribuer de façon significative au tableau clinique (11, 15-17). La prévalence de la mutation, son ratio allélique, reflèterait en effet à la fois l’ordre d’apparition de la mutation lors de la leucémogenèse et la capacité proliférative induite par l’accumulation des mutations. Il a ainsi été prouvé que les variants leucémogènes de FLT3 qui se développent dans les populations de progéniteurs précoces ont des implications cliniques significativement différentes que les mêmes mutations dans des cellules plus matures et différenciées. Des observation similaires ont aussi été rapportées pour des mutations de KIT ou de CBL (18).
La biologie des LMA pourrait aussi être sous l’influence de facteurs ethniques (19, 20) et varie avec l’âge, comme cela est notamment décrit pour les enfants de moins d’un an. Par exemple, et de la même façon que dans les leucémies aiguës lymphoblastiques de l’enfant (21), les translocations de MLL qui sont retrouvées dans 20 % des LMA pédiatriques, sont très fréquentes dans LMA des enfants de moins d’un an, avec 60 % des nourrissons portant une altération de 11q23, et sont beaucoup plus rares chez l’adulte (7 %). Les LMA associées à CBF sont par contraste beaucoup plus rares chez les nourrissons et leur prévalence augmente avec l’âge pour atteindre presque 20 % dans la deuxième décennie de vie. De même, les LMA à caryotype normal sont rares chez les jeunes enfants et leur prévalence augmente chez les adolescents et les adultes jeunes pour atteindre quasiment 50 %.
Enfin, les mutations somatiques de FLT3, NPM1 et CEBPA, qui sont les mutations les plus fréquentes et ont une importance clinique dans les LMA pédiatriques, ne sont habituellement pas retrouvées dans les LMA de l’enfant de moins d’un an.
Les méthodes diagnostiques et thérapeutiques des LMA ont grandement progressé pendant les dernières décennies et la survie globale à 5 ans des LMA est à nos jours d’environ 70 % (9). L’utilisation des chimiothérapies conventionnelles et les indications d’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques ont été jusqu’à aujourd’hui fort étudiées et les espoirs d’amélioration pour le devenir des patients se portent maintenant sur les thérapies ciblées. C’est pourquoi une compréhension toujours meilleure des mécanismes moléculaires aux fondements des LMA est nécessaire.
Les sarcomes myéloïdes
Le sarcome myéloïde (SM) est une prolifération extramédullaire de blastes d’une ou de plusieurs lignées myéloïdes, avec ou sans maturation, et qui forment une tumeur détruisant l’architecture des tissus dans lesquels elle se développe, le plus souvent la peau ou les muqueuses (3). Les SM peuvent être isolés et apparaître de novo ou être présents au diagnostic d’une LMA, d’un syndrome myélodysplasique ou d’une maladie myéloproliférative. Ils peuvent aussi être le témoin, isolé ou conjoint d’une atteinte médullaire, d’une rechute de LMA.
Les SM sont des entités très rares et leur incidence précise chez l’enfant (et chez l’adulte) n’est pas bien connue, d’autant plus qu’ils sont souvent comptabilisés dans les manifestations extramédullaires (AEM, atteinte extramédullaire) de la maladie. Dans différentes études, ces AEM variaient de sept à 23 % des LMA au diagnostic, bien que l’atteinte du système nerveux central ou les SM n’aient pas toujours été distingués. Les SM semblent toutefois être plus fréquents chez les jeunes enfants, avec un âge médian au diagnostic de cinq ans. Leur incidence décroîtrait avec l’âge pour atteindre deux à cinq pourcents des LMA de l’adulte (9, 22). Les SM isolés chez l’enfant, définis comme l’absence d’envahissement médullaire de la LMA, sont très rares et limités à quelques cas cliniques (cf. la fin des références). Leur incidence serait de deux à quatre pourcents des LMA de l’enfant (23, 24).
Les SM peuvent se développer à différents endroits du corps, les sites les plus fréquents étant la peau, les ganglions lymphatiques, les testicules, le tractus gastro-intestinal et les os. D’un point de vue histologique, les SM ne sont pas des tumeurs uniformes mais consistent en des amas de cellules granulocytaires et/ou monocytaires immatures. Le diagnostic définitif est guidé par les analyses immunohistochimiques et cytogénétiques (23). Le diagnostic peut cependant être compliqué du fait de la rareté de la positivité de la myéloperoxydase et/ou du fréquent manque d’expression d’antigènes associés aux myéloblastes et/ou de la difficulté à distinguer les blastes de la lignée monocytaire de monocytes néoplasiques ou de monocytes matures non tumoraux (25).
La présence d’un SM au diagnostic a souvent été considérée de mauvais pronostic (26, 27). Ceci n’est cependant pas bien établi et il n’existe pas d’étude à grande échelle analysant les facteurs pronostiques. De nombreux auteurs insistent sur le fait que le devenir des patients atteints de SM est aussi lié à d’autres facteurs pronostiques, tels que la présence d’anomalies génétiques (23), la localisation des lésions de SM ou le moment d’apparition. Il apparaît globalement qu’il y a une différence pronostique entre les patients atteints de SM isolés et ceux avec SM concomitant à une LMA, nouvellement diagnostiquée ou en rechute. Par exemple, la présence de la translocation t(8;21), si elle est associée à un pronostic relativement favorable dans le cas des LMA sans AEM, est de signification plus incertaine dans les cas où la LMA s’accompagne d’AEM (28). Dans une analyse rétrospective portant sur 1832 enfants traités dans différents essais du Children’s Cancer Group, et incluant 199 patients avec des AEM, la présence d’une AEM autre que cutanée était associée à un meilleur pronostic qu’une maladie sans AEM. Une analyse en sous-groupe montrait même que les enfants avec une AEM isolée avaient une meilleure survie sans événement à cinq ans en comparaison aux enfants avec une AEM concomitante à la LMA ou aux enfant avec une LMA sans AEM (29). De façon intéressante, les SM cutanés semblent associés à des maladies plus agressives (25, 30).
La pathogenèse des SM n’est pas comprise et pourrait différer selon les localisations. La migration des leucocytes au travers des systèmes vasculaire et lymphatique ainsi que leur localisation dans des organes lymphoïdes sélectifs fait partie de leurs fonctions normales. Il a donc été suggéré que les cellules leucémiques possèderaient des invadosomes, complexes d’intégrines, de métalloprotéinases, de ligands et de substrats, qui seraient exposés temporairement à la surface des blastes et permettraient l’invasion tissulaire (31-33).
Une autre hypothèse pour la migration des cellules leucémiques consisterait en l’interaction de chimiokines et de leurs récepteurs. La localisation cutanée pourrait ainsi être expliquée par l’augmentation du nombre de cellules leucémiques CCR-2 positives (34). Il a aussi été suggéré que la protéine de membrane CXCR4, essentielle à la migration des cellules hématopoïétiques normales dans la moelle osseuse et dont la présence sur les cellules leucémiques est associée à un de mauvais pronostic, pourrait avoir un rôle fonctionnel dans la biologie et la croissance des SM (35).
Si la plupart des anomalies génétiques dans les SM sont similaires à celles caractéristiques des LMA, certaines anomalies seraient plus fréquentes dans les SM de l’adulte : les mutations du CBF, la trisomie 8, les translocations t(9;11), t(8;17), t(1;11) ou la délétion del(16q) (36-38). Cependant, ces hypothèses n’ont pas été confirmées par l’étude d’une large cohorte de SM publiée en 2016 par Kawamoto et al. (35). Li et al. ont analysé par séquençage à haut-débit le profil mutationnel de 21 gènes associés aux LMA dans six cas isolés de SM (39). Ils ont trouvé des mutations similaires dans les SM et les LMA et n’ont pu conclure quant au tropisme inhabituel des blastes des SM pour les tissus extramédullaires. : les bases moléculaires des SM restent donc à découvrir.
Les objectifs principaux de notre projet sont de déterminer :
- les bases moléculaires des LMA pédiatriques répondant mal aux traitements,
- les implications des mutations, congénitales ou acquises, des récepteurs cytokiniques de la voie JAK-STAT dans les LMA. Cet objectif est basé sur la description par notre équipe d’un cas de SM avec une homozygotie acquise d’une mutation congénitale hétérozygote de JAK2, et par l’identification de cette même mutation dans une autre famille avec une érythrocytose (40). Les inhibiteurs de JAK2 entrant désormais dans l’arsenal thérapeutique, cette voie de signalisation est une cible privilégiée dans les néoplasies myéloïdes (41).
- Les bases moléculaires des SM pédiatriques associés aux LMA,
- Les implications des complexes de transcription et des complexes répresseurs de transcription de STAT dans les LMA pédiatriques résistantes aux traitements et dans les SM.
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